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Bienvenue dans ma section d'articles, un espace dédié à l'exploration de divers sujets liés à la psychanalyse et à l'anthropologie. Ici, je partage mes réflexions, et celle de quelques autres.

Explorations psychanalytiques et anthropologiques
Articuler psychanalyse et ethnologie (structurale). Exposé présenté au groupe de travail du Quatrième groupe "Approche pluri référentielle des croyances", le 5 mai 2025.
Je vous propose de revisiter d'une part la psychanalyse individuelle au sens du développement psychique de l'être humain et d’autre part l'ethnologie à travers la question de la croyance. Et de le faire de manière structurale, c’est-à-dire en référence à l’anthropologie lévi-straussienne et la linguistique structurale (donc laïque), à la manière du psychanalyste et anthropologue Marc Lebailly (je renvoie à ses ouvrages pour ceux qui veulent voir d’où ça vient et approfondir).
La première question qui se pose est épistémologique. C'est à dire que se pose immédiatement la question de la psychanalyse comme croyance. J'en veux pour preuve Piera Aulagnier qui disait qu'un des critères d'analysabilité était la croyance à l'inconscient et qu'on pouvait le vérifier dans les entretiens préliminaires en vérifiant si le consultant ou la consultante croyait à l'inconscient. Dit autrement, se pose la question de la distinction entre la psychanalyse comme croyance et la psychanalyse comme démarche scientifique. Une science humaine est une science, conjecturale et non pas expérimentale, mais falsifiable au sens de Popper, dans le sens où si on trouve un modèle meilleur, on change de modèle.
Si la psychanalyse n'est qu'une croyance parmi d'autres, et pourquoi pas, une mythologie parmi d'autres, elle fait du psychanalyste un shaman occidental, et encore une fois pourquoi pas. Si elle se veut un peu scientifique, elle est obligée de se poser la question du fondement scientifique de l'affirmation de l'existence du psychisme. On pourrait faire l’hypothèse que Freud a laïcisé l'âme chrétienne en psychisme matérialiste, mais que ce faisant, il n'a fait que transformer une croyance religieuse en l'âme donnée par Dieu, en une croyance laïque au psychisme sans réel fondement scientifique malgré son intention neurologique et sa théorie des pulsions. Si l'on veut fonder la spécificité du psychisme humain on est aujourd'hui obligé de dialoguer avec d'une part les neurosciences, d'autre part comme Lacan en avait eu l'intuition géniale, avec la linguistique, et je rajoute également l'anthropologie. La paléo-anthropologie, aussi, qui aujourd'hui permet grâce à la génétique et d’autres disciplines scientifiques de se faire une idée un peu plus précise de l'évolution humaine. Quand je dis plus précise, je dis plus précise que celle de Darwin, qui était déjà allé assez loin il faut le reconnaître.
Pour faire court, en matière de psychisme, de naissance à la vie psychique individuelle, il me semble qu'on ne peut pas faire l'impasse sur l'idée que le psychisme se développerait de manière asymptotique avec le développement du langage, et que en quelque sorte, sans le langage l'homme n'est qu'un animal, alors que grâce ou à cause de son entrée dans le langage il devient un animal dénaturé par le langage. En tout cas, le langage vient prendre la place, en bonne partie du moins des instincts animaux, pour ce qui est de l’adaptation de l’homme à son milieu, où il n’a plus de niche écologique.
Cette entrée dans le langage se fait très progressivement. Le modèle nous en est donné notamment par De Saussure, Jacobson, et Chomsky. Au risque de simplifier abusivement, mais par souci de clarification nécessaire, je mentionnerai 3 moments de ce processus, qui sont souvent dans l’usage courant, y compris par les scientifiques, indissociés ou embrouillés et qu'il convient d'ordonner et de détailler. Je vais donc faire court : du point de vue linguistique, le premier élément du langage ce sont les phonèmes, le second élément ce sont les morphèmes (les mots, les signifiants[1], les plus petites unités de sens) et le troisième élément du langage c’est le système lexico syntaxique. Les paléoanthropologues font l’hypothèse que la mutation FoxP2 a permis à aux hominiens de devenir humains en entrant dans le langage syntaxique ( - 40 000). Les neurologues, à la suite de Chomsky, font l'hypothèse d'un module syntaxique neuro-cérébral qui correspond à cette capacité langagière, qui permet, mine de rien, la conscience de la conscience.
La structuration psychique de l'enfant se ferait (donc) de manière asymptotique à l'accès au langage. J’en souligne trois moments-clés[2] :
- (avant la première étape dont je vais parler, il y a évidemment une phase de sélection des phonèmes de la langue dite maternelle, qui se passe in utéro et dans les tous premiers mois de la vie postnatale, mais surtout) il y a une étape importante qu’on repère comme angoisse du 8e mois, ou comme stade du miroir (Wallon puis Lacan), comme naissance du narcissisme primaire (qui est peut-être primaire mais qui n’est pas du narcissisme, et que Piera Aulagnier qualifie d’originaire, ce qui est plus exact), et qui d'un point de vue linguistique se caractérise par les vocalises souvent jubilatoires (dans le meilleur des cas). L’observation des nouveaux-nés montre qu'ils ont l'air de commencer à éprouver que ces vocalises, ce sont eux qui les font, c'est-à-dire qu'ils produisent dans leur larynx, leur corps, des phonèmes, avec une intentionnalité qui leur revient par les oreilles[3]. Il se pourrait que ce soit plus important pour la naissance du Sujet que l'aspect visuel qui a été développé dans le stade du miroir ; ça serait l'aspect « audio » qui serait déterminant et qui donnerait à l'enfant un premier sentiment d'exister à partir d'une première distinction entre soi et le monde, ou plutôt entre le dedans et le dehors, ce qui n'est pas encore, loin s'en faut, une distinction objectale, ni une relation objectale ni même proto-objectale. Il se pourrait qu’il s’agisse d’une étape anobjectale, le simple sentiment d'exister et d'être au monde, versus une angoisse d'effondrement (à ce moment-là, la jubilation fait défaut). Winnicott en parle mais je me suis toujours demandé qu'est-ce qu'est ce qui menace de s'effondrer s’il n'y a pas encore de Moi ni de proto-Moi. On pourrait faire l'hypothèse qu'il s'agit là de la naissance du Sujet au sens où on pourrait le distinguer du Moi ultérieur. Au sens même où on pourrait imaginer un nouveau modèle topique, freudien transformé ou la dynamique principale, à terme mais d'une certaine manière dès le début serait une dynamique entre le Sujet et le Moi. Entre parenthèses, Lacan a eu l'intuition géniale de distinguer le Sujet du Moi, il l’a même topicisé (à sa manière, c’est-à-dire dans des formules et des graphes) mais il n'a pas réussi selon moi à faire du Sujet autre chose qu'une espèce de Moi amélioré, un Moi haut de gamme en quelque sorte.
- J'avance : il y a une autre phase importante dans le développement psychique de l'enfant, entre 1 et 2 ans, qui correspond à la phase de la nomination ; ce que Lacan a repéré comme le meurtre de l'a-chose, qui est caractérisé par l'arbitraire et où il est probable que l'instance, la 2nde instance psychique, qui naît à ce moment-là, c'est le Moi idéal. Qu'on pourrait appeler Moi totalitaire, ce qui permet de faire l'articulation avec l'anthropologique. Il est totalitaire dans le sens où on constate que les mots que commence à utiliser l'enfant vers un an et demi, pour désigner certaines actions et certaines choses ont un caractère arbitraire. Alors bien sûr il y a l'arbitraire de la langue natale, mais là il y a l'arbitraire de l’enfant, du Moi idéal, de la nomination, où l'on voit fréquemment des enfants décider qu’une tortue va s'appeler kakoute ou je ne sais pas quoi et qui n’en démordent pas. On peut faire l'hypothèse que les fixations à ce stade-là génèrent ensuite des problématiques paranoïaques. Ce stade-là est ce qu'on pourrait appeler du point de vue linguistique un stade du pidgin. Le pidgin, c’est un proto-langage, comme on en a vu se former dans des lieux où des gens de langues et de cultures diverses sont obligés de communiquer rapidement (par exemple aux nouvelles Hébrides aujourd’hui Vanuatu) ; se forme une espèce de protolangage, par juxtaposition de mots et gestes qui désignent des actions ou des choses (ce n'est pas un dialecte, ni une langue, car il n’y a pas la capacité syntaxique). Sur le plan psycho-développemental, il n’y a pas encore de vraie relation d’objet, il y a envie sur un mode de prédation-élimination-captation (Invidia). C’est le stade de la certitude (pas encore la croyance).
- et puis il y aura une 3e étape importante, qui est l'accès à la langue syntaxique. C’est une spécificité humaine, qui permet de donner du sens aux choses. Je dis donner parce que le langage pousse (de pulsion ?) à chercher le sens des choses et à donner du sens aux choses, avec quelque chose là aussi d'assez arbitraire parce que la nécessité est de trouver plutôt que de chercher, en quelque sorte. Cette phase se décompose en deux :
3.1. entre 2 et 3 ans :
- apparition du modèle syntaxique donc du signe (signifiant-signifié)
- sous l’égide du Sur-Moi et de l’Idéal du Moi (avatars du Moi idéal totalitaire)
- c’est une phase en quelque sorte « paraphrénoïde » (la précédente était paranoïde), sorte de « pensée sauvage » au sens de Lévi-Strauss
- les relations d’objet sont investies sur un mode mythologique, celui de la croyance
3.2. entre 3 et 6 ans :
- apparition du système syntaxico-lexical
- sous l’égide du Sujet et du Moi (en dialectique)
- dialectique du symbolique et de l’imaginaire
- conscience de la conscience
- les relations sont objectales, sans dépendance ni illusion
- accès à la pensée technique et productive
Ceux qui arrivent à cette structuration terminale peuvent s’inscrire sans gros problème dans le social, ce que la psychopathologie ne permet pas ; elle génère de l’exclusion.
Question ultime : Est-ce qu'on en sort de la phase de croyance ? That is the question. Si on en sort, ce n'est pas par dépassement de ce stade qui correspond à la pensée sauvage de Levi Strauss, mais par accès à quoi alors ? On y reviendra tout à l'heure. Est-ce qu’on le dépasse par la pensée scientifique ? Est-ce qu'on le dépasse par relativisation de la croyance ? Dans quel sens est-il souhaitable de le dépasser puisque un des buts de la vie en tout court et de la vie en société en particulier est de s'inscrire dans le social ou ce qui fait cohésion sociale c'est quand même des croyances partagées nous le verrons tout à l'heure je passe à la question à l'aspect ethnologique.
Juste avant…
…deux clarifications, l’une linguistique, l’autre psychique : 1. D’un point de vue linguistique, on peut distinguer le niveau sémiotique (les phonèmes), le niveau sémiologique (les morphèmes), et le niveau sémantique (le syntaxique = le sens). 2. D’un point de vue psychique, en partant de la fin, on peut distinguer l’imaginaire (au niveau sémantique), le symbolique (au niveau sémiologique), et le réel (au niveau…sémiotique, donc). L’usage de ces six mots est une telle salade que ça vaut la peine de tenter d’y mettre un peu d’ordre. Ma tentative est-elle une réussite ? Vous me direz ce que vous en pensez !
D'un point de vue ethnologique : les paléo-anthropologues aujourd'hui, et les paléo-linguistes font l'hypothèse que grâce à la mutation FoxP2 intervenue il y a 40 000 ans, l'être humain est entré dans le langage syntaxique. Auparavant (Néanderthal, par exemple), on parlait probablement un pidgin, un protolangage, qui ressemble un peu à la langue des enfants de d'un an et demi faite de de mots et de gestes. Je cite l’exemple du Vanuatu que je connais un peu : la langue du Vanuatu, qu’on appelle maintenant tantôt pidgin, tantôt bichlamar, ce qui veut dire bêche de mer (énorme ver de mer qu’on pêchait pour sa symbolique phallique), qui est maintenant une langue, était au départ un pidgin, au sens linguistique, constitué par les quelques mots et gestes désignant des choses des actions que les gens, pêcheurs et dockers, utilisaient pour se comprendre un minimum[4]. Donc on parlait pidgin, Néanderthal, Sapiens, Denisova, Floresiensis, et autres Erectus, puis ces pidgins grâce à FoxP2 se sont complexifiés (je ne dis pas améliorés) et sont devenus chez tous les groupes humains des langues, qui au-delà de leurs diversités, sont toutes structurées à partir de phonèmes, de morphèmes et de syntaxe.
Pour spécifier ce qu'il en est de l'humain, on a recouru à beaucoup de choses : à la sociabilité, mais il y a des animaux grégaires. Au travail, à l'outil. Tout cela peut avoir une part de pertinence, mais il semble, quand même, que la spécificité vraiment humaine soit celle du langage, qui permet sur un plan psychique la naissance du psychisme (le langage devenant le concept limite entre le somatique neuro-cérébral et le psychique, je dirais en lieu et place de la théorie des pulsions, que beaucoup considèrent comme concept fondamental de la psychanalyse, alors que Freud lui-même les désigne comme mythologie dans la 32e conférence : humour de Freud ? ou affirmation d’une transformation mythologique progressiste ? ou encore intuition lucide sur le caractère « shamanique » de la théorie des pulsions ?). Et sur un plan collectif, les anthropologues, Georges Dumézil en tête, après Marcel Mauss, et avec Lévi-Strauss, ont fait remarquer que dans absolument toutes les cultures, il y a une organisation structurale, sous l'égide de la pensée sauvage, qui amène à ranger les choses par opposition, et à fournir des explications de ces oppositions et de ces rangements notamment sur le plan des comportements sociaux. Il y a, dans toutes les cultures, un système d'interdits et d'obligations et de tolérance (SIOT), justifié (après coup) par un ou des mythes, mythes qui reposent de manière plus ou moins éloignée, ou pas du tout, sur des événements historiques, et qui viennent en justification en explication de ce système d'interdits et d'obligations. Système qui est considéré comme un fondamental, au point que quand on le transgresse, on est mis au ban de la société, selon l'expression bien connue, c’est-à-dire exclu. Toute culture fonctionne aussi avec des signes et des rites, rites qui sont la plupart du temps des rites d'intégration, de passage, ou de séparation. Ce système commun fabrique de la cohésion sociale. Alors oui, il y a aussi les échanges (de biens, de relations, de communication, dit Lévi-Strauss), mais depuis Marx on a appris à distinguer la partie immergée de l'iceberg de la partie émergée. L'image n'est pas de Marx, mais c’est lui qui a inventé la distinction entre l'infrastructure et la superstructure du social. Depuis, on a forgé à partir de ces deux mots, infrastructure et culture, le mot infraculture, pour désigner tout ce système d'interdits, d'obligations, de mythes, de rites et de signes, système symbolique, qui fait cohésion sociale, qui se distingue de la superstructure où il y a les échanges, de biens de mots et de relations (de personnes, de femmes !). Il y a aussi les lois, qui font partie de de la superstructure, et qui se distinguent de manière assez intéressante du système d'interdits et d'obligations. Entre ce qui est écrit dans le droit, et ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, il y a souvent une différence de nature, et quand il y a conflit, cela génère de la souffrance sociale.
Les mythes, on pourrait dire qu'ils ont la fonction de fomenter de la cohésion sociale, qu’ils ont la fonction de venir justifier les pratiques et les interdits et les obligations, par des para-explications (dans le sens où ce sont souvent des pétitions de principes, qui auraient besoin eux aussi de leur mythe explicatifs, etc etc). Ils ont aussi, comme le disait Valabrega, la fonction de répondre à une énigme, l'énigme de l'origine, l'énigme de la mort, l'énigme de la sexualité, l'énigme surtout de qu'est-ce qui fait la spécificité de l'humain ! De ce point de vue-là, il y a beaucoup de mythologues modernes !
Une des conséquences de tout cela, c’est que le social-culturel est par essence de nature totalitaire (le symbolique), dans le sens où il a pour fonction de créer du même. C'est là que la psychanalyse structurale apporte quelque chose nous permet de nous défendre contre un excès de ce même. En disant deux choses :
- qu’il faut faire dialoguer le symbolique avec l’imaginaire (mais quelle dynamique ?)… et
- que ce qui spécifie l'humain ce n'est pas seulement le culturel, qui d'une certaine manière est du côté du Moi, Moi qui fait l'interface avec le social, mais que la spécificité de l'humanité, c'est en plus du social, le Réel psychique, c’est-à-dire le Sujet qui est cette pure intentionnalité psychique, née au moment des premières émissions intentionnelles de phonèmes, qui dans l'évolution la plus aboutie, mais la plus anormale au sens de la moins fréquente, permet à un individu né quasi animal, mais neurologiquement doué, de « naître de nouveau[5]», comme Sujet, à l'âge de ± 9 mois, fin d’une 2e grossesse ou de la continuation de la grossesse, fin de la prématurité. Le petit humain évolue ensuite psychiquement grâce à la naissance du Moi idéal, totalitaire donc, qui laisse la place à d'autres formations primaires que sont l'Idéal du Moi et le Surmoi, qui à leur tour, s’il y a une instance Subjective suffisamment solide, vont aussi s'effacer pour laisser la place au Moi dans une dynamique avec le Sujet.
On peut donc imaginer (nouvelle croyance ? ou modèle aussi scientificisé que faire se peut ?) un schéma, une topique, ou la pathologie vient surtout de la faiblesse du Sujet, de l’aboutissement insuffisant de la fonction subjective, et de la survivance, en tout cas trop prégnante, des instances pré-moïques, qui vont en général avec une faiblesse du Moi. Du côté de la santé psychique on peut imaginer qu'elle se trouve du côté d'un Sujet fort, et d'un Moi abouti.
Les artistes, les mystiques, et les psychanalystes : dans cette dynamique aboutie, le Moi sera-t-il plus prégnant que le Sujet, ou l’inverse ? Quand c’est l’inverse, on parle de structure inversée (parce qu’elle est rare) ; c'est peut-être là qu'on va retrouver les mystiques, les psychanalystes, et les artistes. On peut faire l'hypothèse que ce qui fait un mystique, un artiste, un psychanalyste, c'est la prévalence de la fonction subjective, le Sujet étant entendu au sens structural et non pas au sens flou et valise de l'usage habituel. Une fonction subjective aboutie, une instance subjective forte, c’est-à-dire qui ne serait pas envahie par la terreur de l'effondrement psychique, mais plutôt par la jubilation, permet à la fois de s'engager dans le social, ET de ne pas prendre des vessies pour des lanternes, c'est-à-dire de ne pas prendre les croyances pour autre chose que ce qu'elles sont, c'est-à-dire des croyances. A commencer par les mythologies personnelles (souvent familiales), dont on sait l’effet pathogène qu’elles peuvent avoir. Mais aussi les mythes de sa propre culture.
Il s’agit donc non pas de nier la nécessité des croyances, mais de ne pas les confondre avec des certitudes. D'autre part, pour les psychanalystes, entretenir une distinction épistémologique entre croyance et théorie scientifique, toujours partielle et falsifiable. Parce que comme Einstein le disait, les hypothèses scientifiques, dès qu’elles sortent du laboratoire, elles deviennent des croyances. On voit notamment comment les vulgarisateurs scientifiques parlent des neurosciences, de manière totalitaire, ce qui n'est pas forcément le cas des grands scientifiques, des neuroscientifiques. Des fois mais pas toujours. Trop souvent encore, sans doute.
Mais le psychanalyste n’est pas le premier témoin historique du Subjectif. Le mystique non plus. Le premier, c’est l’artiste, et en premier lieu le musicien, historiquement et logiquement, puisqu'il reprend quelque chose des vocalises de l'enfant de 9 mois, et qu’il exprime ainsi, certes dans le social, certes assez tôt avec des moyens techniques autres que la voix, mais exprime ainsi une pure intentionnalité psychique, subjective, anobjectale.
On pourrait dire que le psychanalyste est à cette place-là aussi, individuellement dans la cure, et peut-être dans le social aussi (ça se discute). Sa position subjective et non pas moïque offre un point de butée à tous les délires névrotique et psychotique de l'analysant, l'aide à construire et déconstruire ses mythologies personnelles et à relancer son processus de subjectivation. Dans le social, son existence même vient tempérer le caractère totalitaire habituel du social, comme le font les artistes, et les mystiques. Ce n'est pas pour rien que les régimes totalitaires s'en prennent aux artistes et aux psychanalystes. Ils exterminent les vrais et ils essayent d’asservir les autres.
Pour en venir au mystique : le mystique serait-elle/il aussi à cette place dans le social ? Posture qui donne la primauté au subjectif ? Je me souviens des mystiques que vous avez présentés ici, Ignace de Loyola et Tierno Bokar. Ils m’ont donné l'impression d'être, de manière intransitive, d’exister. De ne pas être en rupture totale avec les croyances qui les entourent mais d'avoir une liberté par rapport à ça, comme s'ils les respectaient en tant que leur croyances culturelles, mais qu’en même temps ils les considéraient comme ce qu'elles sont, c'est-à-dire des croyances. Comme s'il disaient que l'essentiel n'est pas là, que l'essentiel est dans l'être-au-monde subjectif, dans une indifférence engagée, relativement indifférente aux croyances et aux relations objectales moïques, mais engagé dans l’expression de leur propre fonction subjective, et dans le soutien à la fonction subjective des autres, en tout de ceux qui le veulent et qui le peuvent. Et c'est de ce côté-là que se trouve leur désir et leur jouissance[6]. Mais peut-être est-ce une vision idéalisée, mythique, de ces mystiques… Croyance, quand tu nous tiens ! Leur désir et leur jouissance ne dépendent pas des satisfactions objectales, ni des croyances, qui sont imaginaires. Ils ne les attaquent pas forcément mais ils soulignent autre chose, qui est du côté de la subjectivité, de la source non objectale du psychisme. « Et voilà pourquoi votre fille est muette. » Et croyante. Ou pas.
[1] Il faut tout de suite faire remarquer, sinon on passe à côté d’une distinction essentielle, que quand on met en parallèle ces trois éléments de structuration du langage avec l’entrée dans le langage de l’enfant, que quand l’enfant prononce ses premiers mots, ce ne sont pas encore des signifiants au sens de la linguistique, car il n’y a signifiant que quand il y a signifié, et il n’y a signifié que quand il y a fonction lexico-syntaxique. Les morphèmes utilisés par l’enfant de 18-24 mois ne sont donc pas encore des signifiants, ce sont en toute rigueur des présignifiants-symboles. Les linguistes ont loupé cette distinction parce qu’ils n’étaient pas cliniciens, et les cliniciens l’ont loupé aussi parce que les linguistes ne leur ont pas donné cet outil. Cette précision est fondamentale sinon on n’arrive pas à distinguer le symbolique de l’imaginaire.
[2] Dès qu’on parle d’étape, on peut se voir reprocher de ressortir une vieille théorie des étapes. Je sais bien que le modèle n’est pas la réalité, je sais aussi que les étapes sont tuilées. Mais comment se passer de repères sauf si l’on veut renoncer à dire quoi que soit des heurs et malheurs de la structuration psychique ? D’autant que ces dites étapes ne sont pas purement phénoménologiques, mais visent à la compréhension de ce qui se passe.
[3] Piera Aulagnier, La violence de l’interprétation, PUF, 2003, p. 108s, a repéré la fonction psychique de ce retour du son, mais elle ne distingue pas les sons qui viennent de l’intérieur de l’enfant de ceux qui viennent de l’extérieur, du coup elle ne mentionne pas de lien avec la première distinction dedans-dehors.
[4] En toute rigueur, le premier pidgin vanuatais était déjà intermédiaire entre un pidgin et une langue, parce qu’il était parlé par des gens qui avaient par ailleurs chacun accès à de vraies langues, leurs langues maternelles. La comparaison ne vaut que pour la forme.
[5] L’allusion à la Bible est consciente, volontaire même.
[6] Là aussi, désir et jouissance sont des termes souvent utilisés, et à toutes les sauces, par tous les psychanalystes et tout le monde aujourd'hui. Pourquoi ne pas laisser désir et jouissance au Sujet, et dire que du côté du Moi il y a les envies objectales et le principe de plaisir ?

Propositions de travail pour une psychanalyse contemporaine
Titre : Le sujet, le langage, le social : trois termes à revisiter, et à retravailler. Présenté à la Journée théorico-clinique du Quatrième groupe, le 14 juin 2025.
Argument : Ni présentation d’un cas clinique, ni exposé théorique achevé, j'aimerais
plutôt faire brièvement le constat que (ces) trois mots circulent beaucoup dans notre
discours psychanalytique, mais qu'ils souffrent d'un manque cruel de définition. Les
revisiter servirait autant à notre réflexion théorique qu'à notre clinique. En somme, je
souhaite faire des propositions de travail.
Le sujet
Il court il court, le sujet. En 2005, j'ai assisté au premier colloque de psychanalyse sur
la subjectivation. J'étais enthousiaste. Je pensais que le sujet, la notion de sujet, allait
enfin devenir un concept psychanalytique. J'ai déchanté depuis. Il n'y a pourtant pas
un exposé psychanalytique ou le mot de sujet, ou de subjectivation, n'apparaisse
plusieurs fois. Et à chaque fois je peine à en comprendre la signification et en quoi il
apporte quelque chose à la réflexion psychanalytique.
Intuitions et apories. Le sujet on sait d'où il vient. C’est Lacan, et il a eu l'intuition
géniale de l'inventer, justement par distinction du Moi. Ça, c'était l'intuition géniale. Il
me semble que c'est resté une aporie, parce qu'il n'a pas réussi à en faire autre chose
qu’un Moi amélioré, un super-Moi, un Moi finalisé (finanalysé). Il y était presque…
(Ce n’est pas simple : chez Lacan, le Sujet serait sujet supposé de l’Inconscient (lieu
de pensées et de désirs), serait un effet de l’ordre symbolique, du langage, et
ultimément du signifiant. Il est distingué du Moi qui serait une instance imaginaire,
issue du stade du miroir. Pour moi, il y a confusion entre le symbolique et le signifiant,
et le dit stade du miroir est la naissance du Réel psychique, donc du Sujet. Ça se
discute, mais il faut que ça se discute, d’un point de vue psychique, linguistique, et
anthropologique. Neurologique, aussi).
Chez Piera Aulagnier, ça s’éclaire et ça se complique en même temps, parce que l’idée
du « Je », se confond parfois avec le sujet. Il me semble cependant qu’elle utilise le
sujet plutôt au sens, finalement philosophique, de sujet humain, et que sa réflexion se
porte sur le Je, qu’elle considère comme une instance (constituée par le discours, on
y reviendra). Ce que je retiendrai surtout chez elle, c’est qu’il y a une instance, qui
n’est pas le Moi. Si le Je est une instance, où est la 3e topique ? Celle de Piera
Aulagnier ?
Castoriadis ensuite (je rappelle que son Institution imaginaire sort en même temps que
La violence de l’interprétation). Le Sujet, pour lui, c’est un Sur-sujet, hyper-englobant,
englobant toutes les instances, englobant aussi le psychique et le social, la réflexivité
et la volonté. Bref c’est un projet quasi prométhéen, l’émergence du sujet est même le
projet de l’analyse. De ce point de vue CC confirme mon analyse. Mais par ailleurs, il
avait fait l’hypothèse d’une monade psychique, originaire, ultra narcissique, autistique.
Rien à voir avec le Moi, qui chez Castoriadis, est très social. Je me demande s’il ne
faudrait pas placer le Sujet de ce côté-là, le topiciser, et lâcher l’usage finalement
philosophique, qui n’est pas psychanalytique.
D'autres ont essayé du côté du Soi ou du Self... avec le même genre d’intuition qu’il y
a quelque chose à trouver, mais avec le même genre d’apories.
En parlant du sujet comme un Super-Moi, super bien analysé, super bien organisé, je
trouve qu’on fait fausse route ; ça n'ajoute rien. Il faudrait plutôt aller chercher du côté
du narcissisme primaire, qui est peut-être primaire, mais qui n'est pas du narcissisme
puisqu'il ne s'agit pas encore du Moi. C'est intéressant que le stade du miroir qui a été
proposé par Wallon et qui a été repris par Lacan, soit présenté à juste titre comme un
moment clé de la naissance du psychisme humain. Parce que c’est quelque chose qui
ne me paraît pas objectal. Dire que c'est le corps propre qui est pris comme objet, c'est
une vision rétroactive et adulto-morphique. C’est la constitution du dedans et du
dehors ; on n'en est pas encore à la libido et à l’auto-érotisme. Probablement pas. On
en est à une espèce de sentiment d'exister et de pure intentionnalité psychique. Il est
d'ailleurs probable que ce qui fait retour chez le nouveau-né, vers 9 mois (parce que 9
mois c'est l'âge de la vraie naissance, puisqu'il y a 9 mois de prématurité) ce n'est pas
l'image d'abord, c'est le son des vocalises de l'enfant. Il est beaucoup plus à l'écoute
de ses vocalises que devant un miroir. L'enfant a toujours entendu et émis des sons.
A un moment il se rend compte, je ne sais pas comment le dire à cet âge-là, il a un
premier éprouvé du genre « ces sons, c'est moi qui les fais, intentionnellement, et ils
se distinguent des autres sons. Et je peux répéter à loisir l'expérience, donc j’existe.
Première distinction du dedans et du dehors. Naissance du Sujet, pure intentionnalité
psychique. Jubilation, versus Agonies primitives de Winicott, où l’on voit bien que dans
la liste qu’il en fait (dans La crainte de l’effondrement) renvoie à des éprouvés très
archaïques, contemporain de la naissance du Sujet (et non pas du Moi, qui en effet
est imaginaire, donc tardif).
Ce serait bien qu'on se repose la question, taboue ?, du tout objectal. Parce qu'on fait
comme si tout était objectal chez l'enfant. Au prétexte qu'un bébé tout seul ça n'existe
pas, ce qui est vrai. Mais quand on a dit ça on a rien dit sur un plan psychique, c'est
beaucoup trop rapide ; on pourrait se demander si l'enfant est vraiment une tabula rasa
(cf. Terra nulla et la pensée sauvage) ou s'il y a quelque chose en quelque sorte de
déjà là. Quand les psychanalystes pensent que chez l'enfant tout est objectal, c'est
une manière de réduire la psychanalyse à une sociologie durkheimienne où l'individu
est le pur produit de l'environnement qui le constitue.
Enjeux : Peut-être faut-il proposer une nouvelle topique où le sujet apparaisse comme
vraiment intrapsychique, et premier, donc anobjectal, et non pas dernier comme point
d'aboutissement. Ça aurait comme avantage de pouvoir concevoir un modèle oui il y
a une dynamique entre le Sujet et le Moi, de renouveler la question de la distinction
entre psychothérapie – qui serait du côté moïque, et psychanalyse – qui serait du côté
du subjectif (ou du subjectal). Aussi la question de la fin de l'analyse qui consisterait
non pas seulement en une construction-déconstruction des défenses préconscientes,
mais en une relance du processus d'auto-organisation subjectif, c'est-à-dire de
l'instance subjective.
Le langage
Là encore, pas un exposé de psychanalystes sans qu'apparaisse la notion de langage,
ou de parole, ou de langue, sans d’ailleurs que ces trois notions soient pas toujours
bien distinguées. La référence à la linguistique structurale est souvent manifeste parce
qu'il y a un autre vocable qui apparaît encore plus souvent, c'est celui de signifiant.
Depuis Lacan et malgré l’aversion que lui vouent beaucoup de psychanalystes non
lacaniens, tous se gargarisent de signifiants. Ça me titille. Parce que je peine à voir en
quoi le signifiant serait intrinsèquement lié à la psychanalyse, et parce que l'usage de
ce vocable est trop déconnecté d'un vrai éclairage de la linguistique, structurale en
l'occurrence puisque c'est de là qu'il vient.
Freud avait bien perçu l'importance du langage avec ses développements sur la
représentation de mots, et surtout sa conception de l'analyse comme « cure de
parole » ou « soin par la parole », mais il n'avait pas les outils linguistiques pour aller
plus loin. C'est venu après, avec De Saussure, puis Jacobson et Chomsky notamment.
Lacan, encore lui, s'en est emparé. Tout le monde connaît ses formules : l'inconscient
est structuré comme un langage, l'être humain est un parlêtre, le Sujet est sujet de
l'inconscient et du signifiant. Puis il s'est brouillé avec Jacobson, ça en est resté là et
le Lacan de Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse 1953 s'est
perdu dans les méandres de la philosophie et des mathèmes (je simplifie, mais il y a
de ça). Pourtant, ce n’était pas rien, de dire par exemple que « le symptôme se résout
tout entier dans une analyse de langage, parce qu’il est lui-même structuré comme un
langage, qu’il est langage dont la parole doit être délivrée ».
À ma connaissance, contrairement à la question du Sujet, pas grand monde n'a repris
la question de manière novatrice, même chez les lacaniens, sauf un certain Marc
Lebailly, à qui j'emprunte l'essentiel de mes interrogations et propositions
d'aujourd'hui. Ils ont fait sens pour moi après des décennies d'interrogations.
(Bien sûr il y a Françoise Dolto, Tout est langage, mais il est probable que expliquer
les choses aux infans rassure plus les parents que les enfants, à qui la voix suffit li ne
faut pas confondre la parole, où c’est l’intentionnalité psychique qui importe, et le
langage, ou c’est la structure qui importe.)
Evidemment il y a aussi Pierre à olagnier avec le bain de langage c'est pas elle
Qui d'autre ?
Quand je dis que pas grand monde à repris la question, je veux dire que je ne connais
pas de psychanalystes qui soient retournés voir du côté de la linguistique avec des
questions de psychanalyste, de clinicien. Il faudrait reprendre la question déjà du côté
de la linguistique saussurienne, par exemple. J'ai des souvenirs très nets de mes cours
de philo en terminale, avec l'histoire des phonèmes, puis des morphèmes, puis des
sémèmes. En regardant cela avec un regard clinique, ça permettrait de reconsidérer
l'entrée dans le langage du tout petit enfant comme un processus de développement
psychique, asymptotique à celui de l’entrée dans le langage. Certains, comme
Ghislaine Dehaene, pédiatre et chercheuse au CNRS, étudient l’acquisition du
langage par les bébés. En l'occurrence, on retrouverait les phonèmes, qui
correspondent aux vocalisations du 9e mois. Avec une posture psychique de ce
moment-là de la vie qui est une affirmation péremptoire de soi. Qui a quelque chose à
voir avec le narcissisme primaire (cf. Pierette Laurent). Plus tard l'enfant se met à
parler et il entre dans le langage sémantique, c'est-à-dire grammatical ou syntaxique
(Chomsky avait fait l'hypothèse d'un module syntaxique) il se met à chercher le sens
des choses. La posture psychique est à ce moment-là paraphrénique confabulatoire
et le rapport au monde est alors celui de la croyance. C'est la naissance de la pensée
imaginaire (pensée sauvage) et non pas symbolique (il faudrait évidemment réviser
l'usage que Lacan fait, et que nous faisons après lui malgré nous parfois du noeud
borroméen, en tout cas des mots imaginaire, symbolique, et réel).
Et puis, il y a l'étape intermédiaire entre ces deux, qui a été mal traitée, même par les
linguistes parce qu'ils n'avaient pas le questionnement que peut avoir une
psychanalyste ou un psychologue de l'enfance. C'est l'époque où l'enfant entre un et
2 ans (l’âge du Fort-Da de Ernst, petit-fils de Freud qui joue à la bobine) commence à
nommer les choses et les actions. Cette nomination est assez paranoïde. J'en veux
pour preuve les inventions de vocabulaire des enfants de cet âge ; comme la fille d'un
camarade qui avait décidé qu'une tortue s'appelait kakout. Lacan avait repéré ça en
parlant du meurtre de l’a-chose, et en effet le rapport au monde de cette époque-là de
la vie est un rapport de prédation-élimination et un rapport de certitude. Question
pointue : les mots qui désignent les choses et les actions sont-ils à ce moment-là des
signifiants ? Non ! Dans le sens où pour qu'il y ait signifiant il faut qu'il y ait signifié. Et
pour qu'il y ait signifié, il faut qu'il y ait langage syntaxique, donc accès à la pensée
imaginaire (on voit qu'il faut parfois renverser, dans l’usage que Lacan en fait, la
définition du symbolique et de l'imaginaire. Pas toujours, mais parfois). A un an et
demi, on est dans le symbolique, et non pas dans l'imaginaire ; il n'y a pas encore
d'activation du module syntaxique. Les mots de cet âge-là ne sont donc pas des signes
au sens linguistique. Ce ne sont pas des signifiants, ce sont des symboles, présignifiants
si on veut. C’est particulièrement important du point de vue linguistique et
du point de vue psychique.
Ce genre de travail serait particulièrement important parce qu'il permettrait de repérer
à partir de la parole des gens, leur utilisation du langage, où ils en sont d'un point de
vue psychique, et dans quelle posture psychique ils se situent par rapport au monde.
Pour conclure ce 2e paragraphe de manière simple et lapidaire, je voulais juste dire
qu’on ne peut pas être psychanalyste sans s'intéresser à la linguistique, « mieux que
ça », c'est-à-dire mieux que ce que l'on fait actuellement, mieux aussi que Lacan dans
le discours de 1953, et a fortiori après.
Je ne peux pas m'empêcher de citer Piera Aulagnier, parce qu’elle ouvre vraiment la voie à ce travail,
quand elle parle de l'originaire, du pictogramme, et de ce qui me semble être la naissance du Sujet ou
du Je (La violence de l’interprétation, 1ère éd. 1975, 7e édition 2003, page 108s) : « Tant qu'on considère
le processus originaire, tout son se présente, dans et par le pictogramme, comme le produit d'un
« tympan-sein sonore », représentant, dans le registre de la fonction auditive, les deux entités
indissociables de l'objet-zone complémentaire »... Au sujet de certains phénomènes de surdité
psychique dans l'autisme infantile et la catatonie je cite « dernière défense que le sujet oppose à la voix
dans l'espoir de lui faire croire à sa surdité et dans l'espoir qu'elle pourrait ainsi finalement se taire ». Et
plus loin, après avoir cité Humbold : « Cette définition souligne la pérennité de cette double face du
signe phonétique, objet, plus que tout autre, se présentant au sujet comme une partie de lui-même, qui
lui revient de l'extérieur ». Plus loin, je cite : « tout son émis, que l'émetteur, soit l'infans ou l'extérieur,
[mais, je rajoute, ce n'est pas pareil] revient à son oreille comme une production que le monde lui
renvoie, témoin anticipé du plaisir ou de la souffrance qui accompagneront son séjour sur une scène où
le discours est maître. Son propre cri ou son propre gazouillis refont irruption dans sa cavité auditive
comme son de haine ou d'amour dont un sein-tympan indivisible serait l'émetteur. Le plaisir d'ouir est
un premier investissement du langage qui a comme seule condition l'audibilité du perçu, investissement
d'une unique qualité du signe linguistique qui laisse hors champ son essence. » C'est ce qui, pour Piera
Aulagnier, ouvre la « voie à une deuxième forme de perception de l'entendu qui transformera le pur son
en un signe qui fonde le système des significations primaires organisant les processus du processus
du même nom à partir du moment où ce dernier tient compte de l'image de mots. Elle va un peu vite en
besogne, parce qu’elle loupe un peu la distinction entre le dedans et le dehors qui apparaît grâce au
retour du son propre, elle ne distingue pas cri, gazouillis et vocalises, ce qui pourrait être utile. Peut-être
aussi libidinalise-t-elle un peu tôt ce qui est surtout biologique, puis surtout agressif (cf. Mélanie Klein).
Mais d’un autre côté, elle a tout vu : elle articule (sans les concepts linguistiques) l’originaire aux
vocalises et donc au son donc au sémiotique (les phonèmes de de Saussure), le primaire à la
nomination donc au symbolique et au sémiologique (M Lebailly le fait, les linguistes ne l’ont pas fait, et
je le fais après lui), ce qui ouvre la voie au secondaire, dont au sémantique syntaxique, c’est-à-dire à la
croyance et au sens, à la croyance au sens…
Le social, enfin.
Dans beaucoup de nos colloques, de nos groupes de travail et des exposés qu'on
entend, il y a des tentatives d'analyses politiques, d'analyse du collectif, des collectifs,
des institutions, du social. Je trouve ça très intéressant. Mais alors d'où vient mon
malaise dans la compréhension ? Il vient peut-être du fait que d'une part on ne
distingue pas bien une approche qui serait psychanalytique d’une approche qui serait
anthropologique. Comme si on croyait, après avoir dit qu'un bébé tout seul ça n'existe
pas et que le psychisme est un produit durkheimien, comme si on disait le contraire,
c'est-à-dire que tout est compréhensible par la démarche psychanalytique, que tout
vient de l’intrapsychique et de l'individu. Partant il y a une 2e raison à mon malaise
interrogatif ; c’est qu’on ne définit pas bien le social. Est-ce que c'est le social de
Durkheim, qui s’intéresse surtout aux échanges (de biens, de personnes, et de
communication, comme dirait Lévi-Strauss) ou est-ce que c'est le social culturel c'est
à dire l'infra pour ne pas dire l'inconscient des sociétés. Ce que Dumézil a défini de
manière lapidaire : la culture, ce sont des fondamentaux, un système d'obligations,
d'interdiction et de tolérances, un mythe ou un système mythologique fondateur, et des
rites qui ont une dimension sacrée (sacrée mais pas forcément religieuse). Un système
qui a toujours une dimension aliénante parce qu’il vise à la fabrication du même, mais
qui est nécessaire à la cohésion sociale, et probablement à la santé psychologique
des membres de ce social. Est-ce qu'on a pris acte que la psychanalyse ne se déduit
pas de l'anthropologie et que le l'anthropologie ne se déduit pas de la psychanalyse.
Que chacune de ces deux disciplines a son propre champ propre et ses propres
méthodes. Mais qu’elles sont toutes les deux nécessaires pour comprendre l'humain.
Et qu’une fois dit cela, il est nécessaire de les articuler pour comprendre l'humain. Et
que même si un psychanalyste est psychanalystes et pas autre chose, il a une espèce
d'obligation éthique, comme le disait très bien Valabrega, qui l'oblige à avoir de solides
notions d'anthropologie.
Alors je sais, il y a Totem et tabou, il y a Moïse et le monothéisme, et il y a Malaise
dans la civilisation. Mais ça ne suffit pas à fonder une anthropologie. Il y a aussi Geza
Roheim, Devereux, Malinovski, etc. J’ai lu je ne sais plus où que Valabrega et Piera
Aulagnier se disputaient parce que Pierra Aulagnier voyait d'un mauvais oeil que
Valabreiga fasse de l'anthropologie. Est-ce qu’on pourrait dépasser ça ? Je sais qu’il
y a eu aussi René Kaes, qui a été quasiment membre du 4e groupe et qui a dû
entendre plus d'une fois « il n'y a pas d'inconscient groupal », ce qui est vrai d’un
certain point de vue, et faux d'un autre point de vue. Il y a aussi très récemment deux
essais (réussis) avec Jean Peuch, La politique des transferts, et Georges Gaillard,
deux ouvrages dont un avec Jean-François Chiantaretto. Des ouvrages fort
intéressants, mais, seul bémol, ou manque, totalement, des références à l’approche
anthropologique des sociétés, des institutions, des entreprises. Seules références
théoriques : Kaes, qui a travaillé, à partir de la psychanalyse individuelle et en partant
du modèle de la famille, sur les petits groupes informels (c’est autre-chose que les
sociétés…). C’est donc toujours la psychanalyse, individuelle, et sa théorisation qui
sert d’approche, même au collectif et au social-culturel. C’est un manque. Je ne citerai
qu’un ouvrage connu mais ancien, qui fait différemment, celui de Bettelheim, Les
blessures symboliques, 185 p., qui est suivi de deux discussions, une de 22 p. d’André
Green, et une de 12 p. de Jean Pouillon, lumineuse pour montrer la consistance propre
de l’anthropologie (structurale) et les pétitions de principes que peut produire l’analyse
d’un fait social par une approche exclusivement psychanalytique.
Je ne serai pas long sur ce 3e point parce qu'il s'agit d'une véritable forêt, c'est le cas
de le dire (ça fait penser à la pensée sauvage de Lévi-Strauss qui est évidente chez
les chasseurs-cueilleurs même s'ils ont aussi une pensée technique et rationnelle,
alors que dans nos sociétés ou la pensée technique et rationnelle domine, il y a un
déni de la pensée sauvage, alors qu'elle est 1. sous-jacente et 2. Nécessaire). On m'a
fait le reproche récemment d'utiliser le terme pensée sauvage (qui aurait des
connotations racistes), mais c’est difficile à remplacer, parce que c’est de la pensée
imaginaire, qui est dominante dans des sociétés à forte composante symbolique. C’est
un très bon exemple de la rigueur conceptuelle anthropologique nécessaire pour
savoir de quoi on parle, et comment on articule le social et le psychique. Il faut être
très rigoureux quand on se met à articuler le symbolique et l'imaginaire en même temps
que l'anthropologie et la psychanalyse. Quand on dit symbolique, que dit-on ? Quand
on parle de symbolisation, de quoi parle-t-on ? D’acculturation ? De subjectivation ?
De sortie du domaine de la certitude, ou de la croyance imaginaire ? De reconnaître
les mythologies préconscientes que l’analysant s’est fabriqué comme défenses et qui
commandent à la répétition ?
Voilà, je m’arrête là. J’écoute vos réactions à mes propositions de penser.

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